mardi 27 décembre 2016

42.

La jeune fille a peint ses ongles en bleu ciel - du moins, quand le ciel est bleu. Parce que quand il fait gris, forcément, ses ongles restent bleus quand même, mais alors, bleu schtroumpf. Sauf bien sûr quand le schtroumpf en question se fait mordre le croupion, car alors il devient noir. Et du coup, ses ongles à elle changent de dénomination, pour devenir bleu chardon. Oui mais... il arrive que les chardons soient mauves, voire carrément roses.
C'en est trop. Elle a remis du rouge. Et, en éclatant d'un rire qui en dit long sur son délabrement mental :
- C'est toujours ça que les schtroumpfs n'auront pas.

Marc Menu

mercredi 30 novembre 2016

41.

Un scintillant sourire... Sidonie Toise n’en avait pas la recette. Elle était affublée d’un sourire incongru qui n’offrait pas la moindre effervescence d’une sensation aiguisée par la joie… l’enthousiasme… la folie… le plaisir... Quand Sidonie tentait une esquisse de… de quoi ?... un rictus lui agrippait la face comme une crampe. Ses yeux s’en retrouvaient fripés, ses lèvres retroussées sur des incisives domptées à l’attaque et ses narines dilatées en prise directe à tous les courants d’air… et tout ça très rouge, excessivement rouge.
« Pas anodin comme douleur... » Chuchotait-on à son encontre.
Elle allait hurler, au moins gémir et finir par se transformer en quelque chose pour sauter à toutes les gorges des environs.
Un mal sournois s’était attablé à l’intérieur de Sidonie Toise et la dégustait avec lenteur …
« Ça ne va pas ? » Lui demandais-je.
« T’es une marrante toi ! » S’enthousiasmait-elle.
Elle arborait un masque de camouflage déployant sarcastiquement son art de l’ironie, experte en second voire dernier degré, elle n’avait pas mal, absolument pas, elle simulait… mais que simulait-elle ?…
Je traquais l’indice quelque part entre des paroles et un faciès désespérément antagoniques…
Qui devais-je croire ?…
À quoi pouvais-je me fier ?…
Quand une espèce de ronflement en provenance de ses cavités sinusiennes me mit sur la voie…
Elle riait carrément l’irrespectueuse, Sidonie Toise se fichait de ma gueule à poumons dilatés !

Jane Véronique

mercredi 23 novembre 2016

40.

L'art contemporain, il en avait fait le tour, décréta-t-il, péremptoire. Guggenheim, ça va une fois, j'ai fait celui de Venise, je ne vais pas me les envoyer tous non plus... C'est déjà assez pénible comme ça. Ça ajoute quoi à la beauté du monde, l'art contemporain, hein ? Vous pouvez me le dire ?
La jeune femme à la table voisine le regardait avec sympathie - il serait plus juste de dire avec empathie. Encouragé, il reprit sa diatribe, la prenant à témoin. Et Picasso, qu'est-ce qu'il avait apporté à l'histoire de l'art, hein, Picasso ? Rien ! Nada ! Des nèfles ! Il n'avait aucun intérêt, Picasso ! À part peut-être de peindre les femmes avec la bouche à la place de l'oreille. Ce qui prouvait qu'il les connaissait bien, conclut-il avec un clin d’œil qui se voulait subtil, fort satisfait de son trait d'esprit - par ailleurs effrontément emprunté à Cocteau.
La demoiselle, encore une fois, approuva d'un scintillant sourire. Il est vrai qu'elle ne comprenait pas un traître mot de français.

Marc Menu

vendredi 18 novembre 2016

39.

L’artiste Paul Pigne, basque par quelques hommes qui seraient passés par sa mère dans une chambre froide de boucherie, avait aligné sur le sol de la rampe colimaçon du Guggenheim de Bilbao, du jambon persillé en gelée et des pieds de porc panés par ses soins, à la main gauche. Alors que droitier, il s’était imposé une sinistralité à des fins artistiques… « Mon œuvr’ ser’a empr’unté dé maladr’ess’é » et un accent coincé entre Dalì et une goulotte à poinçonner station Picasso ( ben oui !) un jour d’affluence. L’installation laissait planer dans le quartier un parfum de Spigol, succédané d’épices à paella, dont il avait truffé son œuvre charcutière pour lui conférer ce caractère typiquement valencien (et attirer le public sans flyers). Outre le fait qu’à Bilbao, on bouffe plutôt des txipirones en su tinta… ¡ Mais quel còn ! Depuis qu’il vivait en Espagne, l’ancien traiteur de Bayonne, devenu happener par l’entremise d’une idée dite « du reste de rillettes une nuit de solitude la tête dans le pot » s’était forgé une réputation internationale. Il était aujourd’hui « El grande Pignolo con la mano » ou « Pablo el unico segundo » (sous sa forme raccourcie), face au monde artistique qui hurlait son nom d’adoration la bouche pleine de gratons un jour de pique-nique en plein soleil. Ses happenings se terminaient systématiquement par un lâcher de chorizetitos picantes muchas màs, plantés de petites fourchettes à deux dents, sur fond de « Banane » de Philippe Katerine (un pote à lui)… fil rouge incontestable qui le tracta aux confins de sa gloire… et il va sans dire que la rudesse de sa conception fit de lui ce qu’il est aujourd’hui.
¡ Sinon nadà !

Jane véronique

lundi 14 novembre 2016

38.

À table, sonna la gigantesque horloge comtoise qui démesurait le petit salon. Il passa donc à table, nourrissant les plus grandes espérances quant à la suite des festivités. Il déchanta assez vite. En guise de hors d’œuvre, on servit du jambon persillé. Il en avait une sainte horreur, l'espèce de gelée qui servait de liant ne lui inspirant que des hauts le cœur - voire plus si affinités. Il tenta de faire bonne figure, se laissa morigéner par la maîtresse de maison - mais si, reprenez-en un peu, vous me ferez plaisir ! -, flirta avec l'incident vomito-diplomatique... En fin de compte, il prit sur lui, déglutit une bonne fois, et noya le tout sous une généreuse rasade de Gevrey-Chambertin. L'estomac encore tout à l'envers, il vit venir les pieds de porc avec une angoisse irrépressible. La sueur abondante qui perlait à son front, en alertant sa voisine de table, lui valut le salut. Il ne lui restait plus qu'à feindre l'infarctus. Il en serait quitte, comme à chaque fois, pour payer l'apéro aux ambulanciers.

Marc Menu

lundi 10 octobre 2016

37.

La moche m’a planté l’automne au coeur du printemps. Un automne de rouille, qui grince, qui se casse la gueule dans un hiver imminent. Mes bêtises sont à moi. J’en rêve.
Ça me fiche le trac. 
La moche m’envisage en pièces détachées. Elle me connaît par cœur et me passe à côté. La moche est l’horlogère. Elle trafique les tic-tacs, bricole mécaniques.
Ça me fiche le trac.
Des heures de panique. Ça court à l’intérieur. Métronome atypique dans ma cage, affolé. J’écoute ma vie. Résonne dans l’oreiller, les pensées dans ma tête, ça m’entête, ça m’embête.
Ça me fiche le trac. 
Et ça claque, si ça claque ? Raisonne dans l’oreiller, la tête dans mes pensées, je me perds, je suis fou. J’ai pas peur, je m’en fous. Juste le trac. Et la moche, l’horlogère et sa clef à coucou remonte le fou. 
Et je bats.

Jane véronique

jeudi 29 septembre 2016

36.

La femme du boucher est une fausse blonde. C'est la boulangère qui l'a dit à maman. Même qu'elle se teint pour cacher ses vilains cheveux roux. Parce que les rousses, c'est vicieux. Et ça sent mauvais. Ça, c'est maman qui l'a dit. Ça m'embête un peu, d'ailleurs, parce que ma petite amie l'est. Rousse. Et que j'aime bien ses cheveux. Ils me renvoient des reflets d'automne au cœur même du printemps. Et qu'on fera l'amour, bientôt. Quand je serai plus grand. Elle m'a promis. Qu'elle sera toute douce. Qu'elle m'apprendra. Avec toute l'expérience et le savoir-faire de ses quarante-six ans. 

Marc Menu

dimanche 11 septembre 2016

35.


Elle dépose ses nichons sur l’étagère, la pute… et y pique le prix, l’étiquette plantée comme dans la bidoche du boucher, en vitrine… roses et blancs, lourds et tendres… un prix à la minute de malaxage, un prix à la tétée minutée, un prix le temps d’y fourrer la tête et d’y pleurer un bon coup… un prix pour oublier… pour s’y reposer, pour s’y retrouver… pour y croiser sa mère… se laisser aller. 
Les nichons de la pute dans la vitrine du boucher, il y a planté ses yeux, son nez, ses joues, sa bouche, les mains pleines, plein les mains, et il a fondu sur eux de toute l’eau de ses yeux, heureux, plus jamais malheureux juste un instant. 
Et il s’est tapé un énorme filet de veau après, rose, blanc, lourd et tendre, un truc d’une indécence… un truc à s’étouffer… un truc à y rester.

Jane Véronique

mardi 6 septembre 2016

34.

Manque de bol, le mode d'emploi était rédigé en suédois. Pourtant, sa copine était coréenne. D'habitude, ça marche plutôt bien, ça. Mais pas ce coup-là. Ce coup-là, c'était en suédois. Et ça n'allait pas être du gâteau. Bon. D'abord, virer la coréenne. Et puis... Mais allez trouver une suédoise un dimanche. Bref, c'était une de ces sales journées. Il laissa là l'armoire en question - peut-être qu'elle allait se monter toute seule, après tout, on ne sait jamais avec ces suédois - et sortit faire un tour. La pluie remit en place ses idées fixes. Ça allait encore finir chez les putes. 

Marc Menu

vendredi 2 septembre 2016

33.

On lui posa dans les bras, sa vie, sans le prévenir, l’avertir de son fonctionnement. Rien qui ressemblât à une notice, un mode d’emploi, quelques directives, avertissements même succincts, n'y était joint ! Démerde-toi ! Le colis n’était pas très gros, assez lourd pour sa taille, juste assez volumineux pour contenir une table et sa chaise. Quand il eut déplié le paquet… dépaqueté le pli… il regretta son indécision quant à un retour à l’envoyeur... Mais encore eut-il fallu savoir quel individu grotesque avait osé ?
Il vissa les pieds au plateau, le dossier à l’assise… et se vit affublé d’une vie en forme de table et sa chaise. Mais quelle connerie ! Quelle énormité d’une vulgarité affligeante ! Lui qui rêvait d’une course effrénée, d’un essoufflement permanent, d’un cœur qui palpite au moindre emballement… dépité, fou de déception, il s’assit… et dans le tiroir de la table qu’il ouvrit doucement… il y avait une plume et tout un tas de feuilles blanches.

Jane Véronique

lundi 22 août 2016

32.

Dès les premiers signes de fonte des neiges, le ruisseau se mit à enfler. Il enfla si bien, même, en dévalant la montagne, qu'arrivé en bas, il ne sut plus quoi faire de toutes ses eaux. Ils les perdit donc, dans un fracas de début du monde. Et, avec les eaux, l'enfant. Par miracle, il ne se noya pas, mais ce fut moins une... Il fut recueilli par une lavandière qui le nourrit au sein jusqu'à ses dix-sept ans. Il devait en garder, toute sa vie, un léger zézaiement. Ce qui ne l'empêcha nullement de la réussir - sa vie - et ce, au delà de toute espérance : il serait le premier homme-torrent à devenir animateur de radio - sous le nom d'André. Pendant des années, les transistors en seraient tout éclaboussés. 

Marc Menu

dimanche 21 août 2016

31.

La raison en était le froid…
Son cri d’effroi se réfugia dans le congélateur, à la vue d’un bouquet de lièvres ficelés par les oreilles, allongés là claquant des dents.
Mais jusqu’où s’étaleraient les extravagances de son époux ?
Elle en eut la voix instantanément gelée... une lame de glace au bord d’un toit. 

Mais au dégel, elle s’en retrouva si particulièrement éloquente, d’une pertinence si aiguisée, loquace et expressive et diserte et prolixe et éloqu… qu’elle réitéra le phénomène. 
Chaque soir, elle hurlait sa voix dans un sachet de congélation, qu’elle déposait entre les haricots surgelés et les bâtonnets de poisson, pour la décongeler le matin, dans un gargarisme au thé lourdement miellé.
Tout le monde en était enchanté de ses talents oratoires hors normes.
Tout le monde sauf son époux, tant et tant épris, qui s'inquiétait de son mutisme quand il lui faisait l’amour la nuit.

Jane Véronique

vendredi 19 août 2016

30.

Le roi est mort. La reine pleure. Point trop. Juste ce qu'il faut. En regardant du coin de l’œil le capitaine des dragons qui fait depuis des années le délice de ses nuits. Qui reste impassible. Bien obligé. A monter la garde devant le cercueil ouvert. Et la reine, en regagnant ses appartements, prend plaisir à le frôler au passage - sous couvert de recueillement devant la sépulture conjugale. Mais le capitaine des dragons n'y tient plus. Sous les yeux éteints du monarque cocufié, et à la stupéfaction générale et endeuillée, il la retient par le bras, cette reine de tous ses tourments. Et là, appuyé contre le royal catafalque, il lui roule ce qu'il est convenu d'appeler une pelle d'enfer. Une pelle de cinéma. Une pelle telle qu'on s'attendrait à entendre une voix qui crierait coupez. Mais personne ne coupe. Dans le silence de mort qui s'ensuit, la voix glacée de la reine mère :
- Venez, ma bru. Ça vous fait bien assez d'émotions comme ça... Gardez-en pour demain.

Marc Menu

mardi 16 août 2016

29.

Il était un roi qui se disait fou du roi... Un roi éparpillé dans les méandres de son château pour de faux. Mais il était un roi. Pour de vrai. Un peu fou pas si fou tellement fou. Un roi en morceaux de morceaux de rois assis ce jour-là, sur le rebord de la fenêtre… 
Il était elle, pas reine, juste elle, à s'éterniser à l’orée de ses méandres, de gros méandres à petits pois et fleurs de courgettes au fond de sa cuisine à attendre quatre heures, cinq et même six, et s’endormir dans ses bras sur la machine à machiner. 
Elle prenait l'air, ce jour d'électricité dans l'air, de coupures toutes petites et de fenêtre ouverte... 

Je crois que c'est à ces points suspendus que l'histoire a commencé.  


Jane Véronique 

jeudi 4 août 2016

28.

Elle disait qu'on l'avait jetée, enfant, avec l'eau du bain. Qu'elle avait dérivé, longtemps, à fleur de canal. Jusqu'à cette écluse. Où elle ne dut son salut qu'à la veuve de l'éclusier. Qui allait abuser d'elle pendant les trente-deux années qui s'en suivraient. Mais là n'était pas la question. Elle disait que celui qui l'avait jetée à l'eau était de haute lignée. Qu'elle était, à n'en pas douter, fille de roi. Qu'un jour, elle retrouverait son royaume. Si possible, au bras d'un prince charmant. Même qu'il fallait qu'il se dépêche, le prince charmant. À quatre-vingt-quatre ans, elle n'avait plus tellement de temps devant elle pour l'accomplir, sa destinée. 

Marc Menu

mardi 2 août 2016

27.

Je nageais. 
Quand par le plus hasardeux des phénomènes qu’il m’ait été donné de vivre, je fus pêchée par un filet en haute mer... je n’y connais rien en pêche, étais-je pêchable ?... Aucune idée... et que nageais-je là ? J’ai toujours été horrifiée par les mers trop hautes, on ne voit plus l’horizon. Une fois remontée à bord du chalutier, dont j’appris le nom par une sardine empêtrée : Que les bateaux à sardines sont des chalutiers, mais que les boites de sardines, elles, restent des boites, ne dit-on pas une boite de sardines ? J’avais pourtant espéré une fantaisie nominative... mais je m’égare. Joueuse, je m’étais fait un banc de copines... elles sont agitées toutes ces sardines dans le même sens comme un banc de poissons !... Suis-je plus bête que sotte ? Elles en étaient !... Mais rions. Et une fois déversé le contenu... nous fûmes triées... trop vives, trop fines, trop bleues... et mes petites sardines qui passaient par dessus bord au bon vouloir de ces critères si dérisoires... Et puis saisie, enfin mon tour de retourner à ma baignade, de me plonger dans l’eau du bain... Quand... 
- Une crevette ! S’écria la main...
Moi une crevette ? Me demandais-je, courant allègrement de surprise en surprise... j’ai toujours eu horreur de m’ennuyer mais à ce point de non-ennui, c’est l’aventure ! 

- Une belle crevette, et rose vif pigmenté de grenat !... Serait-elle cuite ?... Riait la main...
J’étais bien cuite de coup de soleil en coup de soleil, j’étais beaucoup plus rouge que grise... C’était le premier jour de mes vacances, mais de là à me faire passer pour une crevette...

Jane Véronique

samedi 30 juillet 2016

26.

La chambre d'hôtel a rétréci quand elle est partie. La musique de ses baisers, le goût de ses lèvres, l'empreinte de son désir, ont saturé l'air de leurs fragrances, tandis que les murs se rapprochaient jusqu'à se rejoindre. Je n'ai dû mon salut qu'à une fenêtre restée ouverte. J'ai donc filé par les toits, le cœur encore tout gonflé d'elle. Je savais que je ne la reverrais pas. C'était le contrat, je l'avais signé en connaissance de cause. Ce que je n'avais pas envisagé, au moment de le signer, c'est que ce serait à ce point difficile. Il ne me restait donc plus qu'à me laisser glisser le long de la première gouttière venue... et si possible, continuer à descendre, jusqu'au fond des égouts. Là, fermer les yeux et plonger. C'était le bon moment pour aller voir si, vraiment, la mer était au bout.

Marc Menu

jeudi 7 juillet 2016

25.

Tu les as comptés toi ?… tous ces « plus jamais » et cette masse de « c’est fini » qui s’amoncellent et s’immiscent impertinents ?… tu sais ce que je vais oser ? Je vais reculer, aussi loin que je pourrai, en courant, à l’envers pour arriver avant le commencement des « il n’y aura pas d’autres fois »… juste avant que les « trop tard » me pourrissent un jour la vie jusque dans un trou sous les racines d’un arbre. Moi je les ai comptés, tous autant qu’ils sont, et je ne sais même pas comment dire le chiffre que j’ai compté… la liste est à pleurer, elle n’en finira jamais de continuer. J’irai tout droit en arrière, jusqu’à ce que je retrouve les « pour toujours » et les « encore » et je me ferai couper la tête par un bourreau de grand chemin, qui offre son coup de hache contre une tendresse au fond de bras au fond d’un lit au fond d'une nuit. Je me ferai couper la tête juste avant que ne commence la fin du désir, juste pour le garder vivant… parce qu’une fois décapitée, je ne pourrai plus le voir s’étioler…
Et s’il te plaît, fais-moi encore l’amour avant que je perde la tête.


Jane Véronique

mardi 5 juillet 2016

24.

Dans la seconde moitié du 21è siècle, la peine de mort connut un regain de popularité. Les exécutions revinrent à la mode, générant des centaines d'emplois, et les bourreaux rivalisèrent d'imagination et de créativité pour en faire de bien jolis spectacles. Bientôt, le succès fut tel que l'on manqua de condamnés. On eut alors recours aux pauvres et aux immigrés, que l'on exécuta en échange d'une année - leur dernière en l'occurrence - de vie de château. La formule fut tellement appréciée qu'il fallut engager des bourreaux supplémentaires. C'est ainsi que ma maîtresse reprit du service. Je ne pouvais pas faire moins que d'assister à sa première exécution... son allure, sa cruauté me fascinèrent, tant et si bien que nous fîmes l'amour cet après-midi-là - les exécutions avaient lieu le dimanche midi, au sortir de la messe - comme jamais nous ne l'avions fait auparavant. Sur l'oreiller, elle me confia que pour y mettre tout son cœur, elle s'était imaginée exécutant ma femme. C'est à cet instant précis que l'idée germa.

Marc Menu

jeudi 30 juin 2016

23.

Je suis morte. Je suis morte petit à petit. Je ne m’en suis pas rendu compte. Ça ne m’est pas tombé dessus en un seul morceau comme un pan de mur qui se serait détaché alors que je passais sur le trottoir du petit marchand de guimauves. Non, je suis morte progressivement, engloutie sans douleur, sans souffrance… J’aurais pu me méfier, j’aurais dû… les mots n’existaient plus, les silences prenaient des allures de fissures, dans lesquelles j’aurais pu enfoncer mes doigts, ma main et un bras entier… et je me suis écroulée de sommeil dans ce parfum de sucre cuit. La mort s’est immiscée, m’a investie. La mort m’a prise sans utiliser de subterfuges. Elle s’est installée et je ne l’ai pas sentie, sans démangeaison, irritation quelconque, allergie colorée et persistante… La mort est arrivée et est restée là en moi… Mais la mort de quoi ?… D’ennui, je ne vois que ça, c’est cet ennui qui a causé le malheur… si ça avait été de peur, j’aurais ressenti cette crispation caractéristique qui précède l’affolement… et je m’en serais sortie !

Jane Véronique

lundi 27 juin 2016

22.

Mieux que personne, elle maîtrisait l'art subtil et millénaire du bouche à bouche. Elle en avait recueilli les arcanes des lèvres d'un maître nippon, et n'avait eu de cesse, par la suite, de raffiner sa technique au moyen de longues séances de méditation labiale. Son savoir faire était réputé à cent lieues à la ronde... et les hommes en mal d'évanouissement ou de noyade se transmettaient précieusement son nom sous le manteau. Il était de bon ton, sur la carte de visite d'un monsieur comme il faut, de trouver la mention 'réanimé par mademoiselle Natacha'. Bientôt, les fausses noyades furent légion - dans la région. Je fus du nombre à plus d'une reprise. À chaque fois que je mourais, elle était là pour me ramener à la vie. Je ne m'en lassais pas. Jusqu'au jour où une grève des cheminots... elle n'arriva pas à temps.
Alors oui, je suis mort. Mais je vous prie de croire que désormais, de l'autre côté... je vote à droite. Rien que pour les faire chier, ces cons. 

Marc Menu

vendredi 24 juin 2016

21.

Au tout début, il n’y avait que le silence froid. Mais au tout début, entendait-on ?... Il est aisé de répandre des théories originelles fondées sur le bouche à oreille sans savoir si les oreilles existaient… Il est effectif que de bouche à bouche, les notions aussi complexes soient-elles, pouvaient sans ambiguïté se disséminer à une vitesse exponentielle… leur signification avait toute liberté de se disloquer au hasard des langues les plus mauvaises. Mais qu’elle importance ? Qui aurait eu la capacité d’en contester la véracité ?… Elles circulaient aussi impénétrables qu’inentendables… et pour cause, les oreilles n’existaient bel et bien pas. C’est ainsi que des siècles durant les oiseaux chantèrent sans être écoutés. Par quoi l’auraient-ils été ? Sans compter sur une concurrence débridée qui avait flingué l’écoute réciproque. Les oiseaux s’obstruaient les orifices auriculaires à l’étoupe de duvet et à tour de bras pour ne plus s’entendre. Ainsi mus par une situation pétrie d’inutilité, ils se turent en attendant que l’homme invente enfin l’oreille… Puis une foultitude de produits dérivés dont les rafales, les aboiements, les armes automatiques, les furieux et bien d’autres peu ou moins usités…

Jane Véronique

mercredi 22 juin 2016

20.

Le jour où le mur est tombé, elle est partie en sens inverse. Surtout ne pas le franchir. Surtout ne pas suivre le troupeau. Rester fidèle. Partir vers l'est, encore plus à l'est, puisque son est n'est plus. Aller jusqu'en Chine, s'il le faut. Là bas, le rouge est encore rouge. Pas encore altéré par ces cinquante nuances de bleu dont on n'en finit plus de nous rabâcher les oreilles. Partir, donc. Partir avant que Madonna vienne chanter sur la Place Rouge. Ne pas voir ça. Poursuivre sa route. C'est joli, la Sibérie, aux premiers contreforts de l'été. Reprendre son souffle. Repartir avec la bise - et l'arrivée des premiers européens. Jusqu'où la suivront-ils. Pas au delà de la frontière. Comment dit-on je suis des vôtres, en nord-coréen ? Aboiements furieux. Rafale d'arme automatique. Puis, ce silence froid. Et les oiseaux qui se remettent à chanter. 

Marc Menu

samedi 18 juin 2016

19.

Vite ! Dépêche-toi ! Bouge ! Vite ! Cours ! Cours ! Accélère ! Vite ! Encore ! Allez !
Dormir, manger, soupirer, respirer vite, plus vite, encore plus vite. Et l’amour rapidement, sans fioritures, pas le temps. La tendresse ? Perte de temps. Et pas de pied dans le tapis, de main dans la porte. Oublier le repos, éviter les erreurs, ne pas bâcler. Vivre vite sans compliquer. Gagner du temps. Prendre les raccourcis. Utiliser la cocotte minute, le ciment prompt et l’accélérateur de particules…
- Mais quel jour serons-nous hier ? Demain est passé si vite que je me demande si j’aurai le temps de terminer ce qui est déjà fini… et ne me raconte pas d’histoires nous ne sommes pas aujourd’hui !...
C’est ainsi qu’elle perdit la tête en percutant le mur du son sans émettre le moindre cri et en accélérant...

Jane Véronique

jeudi 16 juin 2016

18.

La grippe courait. Vite. Très vite. Trop vite. Il y avait du virus de tous côtés. Ça dégoulinait de partout... il en suintait jusque sur les murs, il en poissait jusque derrière les oreilles. Les médecins se frottaient les mains. Avec du gel désinfectant. Ce qui ne les empêchait pas de tomber comme des mouches, après avoir laissé des chiures un peu partout. L'épidémie était aux portes de la ville, et pas possible de les refermer... les gonds eux-mêmes étaient grippés.

Marc Menu

mercredi 15 juin 2016

17.


La salle d’attente était bondée, les murs se fissuraient sous la pression des miasmes disséminés par les éternuements répétitifs et autres toux excessives. Le monde affluait par la grande porte à deux battants et les symptômes s’écoulaient de plus en plus difficilement par la fente d’accès aux consultations. La pièce s’arrondissait prête à éclater, les patients s’amoncelaient en piles irrégulières... Cela faisait déjà trois jours que j’étais là à cheval sur les épaules d’un type qui se plaignait de mes lacets défaits dans ses vitamines C effervescentes successives... Tu parles qu’ils ne dormaient plus... Je n’avais pas l’intention d’attendre une nuit encore. Je n’éternuais ni ne toussais. J’avais seulement depuis quelque temps un truc dans l’œil qui déformait tout sur mon passage et je voulais être sûre que c’était incurable... ce n’était pas si grave.

Jane Véronique

samedi 11 juin 2016

16.

La lime à ongles est restée là, abandonnée, sur la banquette de la salle d'attente. Il l'a prise d'une main timide, et pourtant résolue. Pour s'aider à se souvenir d'elle. Pour se faire croire qu'elle n'était pas vraiment, pas tout à fait partie.
Pendant les mois qui ont suivi, il lui suffisait de toucher des yeux cette lime pour la revoir, avec ses mains fines, aux ongles magnifiques, qui captaient la lumière pour la décomposer en mille facettes... Cette lumière-là qui avait été sa nourriture pendant toutes leurs années. Dans ces instants de grâce retrouvée, il lui semblait encore les sentir sur ses joues, dans son cou, ces mains tant aimées.
Puis, un jour, la lime à ongles ne lui évoqua plus rien. Il se sut guéri. Et en pleura de dépit.

Marc Menu

mercredi 8 juin 2016

15.

Elle a laissé grandir ses ongles aussi longs qu’elle eut la patience d’attendre. Ils allongeaient ses doigts indéfiniment... offraient à sa main une gestuelle particulière, terriblement empruntée, mais sans irréversible maladresse, assez agile pour toucher du doigt toutes les choses qui ne se laissent pas si facilement approcher. Elle les a limés avec précision, en pointe de ciseaux, aussi tranchants pour de faux que la lame à raser presque sous la peau... et les a vernis de blanc laiteux pour que le rouge éclate sur eux en tâches tête d’épingle. Elle a fait crisser avec, le tableau sec et noir... a crevé deux ballons pas tout à fait ronds... a percé une fraise comme on enfile une perle et piqué la lune trois fois d’affilée, elle la pensait tellement plus éloignée... Mais elle n’a plus touché à la mèche qui glissait sur ses yeux au cas où ses longs ongles pointus l’aveuglent par inadvertance. 
Mais tout ça, c’était juste pour lui faire plaisir... juste pour ça...

Jane Véronique

vendredi 3 juin 2016

14.

Qu'il se le tienne pour dit. La vaisselle, désormais, ce serait chacun son tour. La lessive aussi. Et l'aspirateur. Ah, elle allait oublier les poubelles. Et les cuivres, tant qu'à faire. Et d'ailleurs, c'était son tour - au moins pour les sept années à venir. L'esclavage, ça n'avait que trop duré. Et d'ailleurs, il pouvait déjà s'estimer très content qu'elle lui laisse encore une chance. Une dernière chance, précisa-t-elle, toutes babines retroussées, en agitant ses longs ongles pointus à quelques millimètres de sa gorge.
Il laissa passer l'orage, impavide. Dans sa tête se fredonnait une chanson italienne - 'il mio rifugio, il mio rifugio, il mio rifugio sei tu...' et en bénissant ses cheveux longs. Vachement pratiques, pour dissimuler les écouteurs de l'iPod.

Marc Menu

mardi 31 mai 2016

13.

Et cette éponge qui se ramollit de jus de vaisselle comme la mousse s’attendrit de pluie, déborde sous la rosée d’un robinet trop plein... gît, gorgée, engorgée, le flanc colonisé d’écume grasse... on l’écrase, alors elle bave dans un grincement de salive sous la langue. Je grimace. L’éponge agonisante, visqueuse, flasque, molle dans le fond de l’évier, vit sans amour et d’eau, sans dessous de tables, de lait qui a mal tourné et de culs de cocottes salement culottés... Elle pourrit de miettes dans les pores de sa peau. Je respire dans mes doigts. Et l’éponge séduit une mouche qui hésite en va et en vient entre elle et la poubelle... Je m’essouffle en inspirations saccadées qui tentent d’éviter mon nez. L’éponge pue l’oubli, embaume la cuisine, la maison, le jardin, le monde entier... 
- Vous resterez bien diner ? M’offre soudain mon hôte. Son haleine perfore mon dégoût d’un parfum de menthe bleue. Il suce une pastille. Il est enrhumé.

Jane Véronique

lundi 30 mai 2016

12.

Elle ne tenait plus qu'à un fil. Enfin, à une tige. Enfin... à ce qui restait d'une tige. Elle allait, elle devait tomber d'un instant à l'autre. La jeune femme la regardait d'un air d'envie. Elle était si belle, elle était si verte, elle était... tellement hors d'atteinte, qu'il ne lui restait qu'à s'asseoir au pied de l'arbre, et attendre l'inéluctable chute. Mais la chute ne venait pas. L'après-midi se passa ainsi - dans l'expectative. La jeune femme avait de plus en plus envie de la pomme. Mais l'instinct de survie du fruit rebelle était le plus fort. C'est qu'il s'y accrochait, à son bout de tige, le bougre. Et le vent, appelé en renfort, n'y faisait rien. Elle avait bien essayé, aussi, d'aller le décrocher - mais personne ne lui avait appris à grimper aux arbres. Elle finit par s'endormir là, sur la mousse. Ce fut la rosée qui la réveilla... la rosée et la voix de son amoureux, au creux de son oreille.
- Ève, mon amour... quand donc oublieras-tu cette pomme...

Marc Menu

jeudi 26 mai 2016

11.

Il neigeait des fleurs de pommiers sur les jardins de la maison des vieux qui n'ont plus rien dans la tête... ou trop... 

- Les pommes ne sont pas le fruit du hasard... ça éclate un jour... en regardant le frigo... après dans la bagnole elles batifolent en riant folles et nues... rien à voir avec les prospectus publicitaires... c’est plein d’air... et tu éternues, tu t’étouffes... manquerait plus qu’ils nous collent la soupe dans les poches... j’en ai partout de ces idées décidées et alors... ça désespère les pots de peinture... tu les as vus ? Tu les as vus ou pas ?... ils réfléchiront en repassant par ici... parce que ça fait un de ces bruits... et ce n’est pas fini... pas fini du tout. Mais écoute elle est déconfite !... Des clous oui !... Et la menthe à l’eau ce n’est pas moi... oh que non... 

- Tu me changes tellement les idées papa quand je viens te voir...

- ... c’est la pomme verte.

Jane Véronique

lundi 23 mai 2016

10.

Il a déchiré les draps. Les a noués entre eux pour en faire une longue corde. En a attaché un bout au pied de son lit. En a éprouvé, plusieurs fois, la solidité. A soulevé la croisée. A lancé l'autre bout de sa corde improvisée par la fenêtre. L'a enjambée - la fenêtre, pas la corde. S'est rendu compte que sa chambre était au rez de chaussée. S'est laissé glisser au dehors et est parti en sifflotant. Ce n'est que quelques heures plus tard, alors que profitant de sa liberté retrouvée, il sirotait une menthe à l'eau au café du canal, qu'il se rappela qu'il n'était plus interné depuis des semaines... et qu'il venait, en fait, de s'évader de chez lui.
- Ils n'auraient peut-être pas dû me laisser sortir si vite, se dit-il, tout penaud.

Marc Menu

jeudi 19 mai 2016

9.

Elle avait froid, doucement. C’est ce qui l’a réveillée, ce froid transparent. Elle était nue, le drap blanc enroulé autour de la jambe. Il n’y avait plus que ce drap, le reste n’était plus là. La couette avait glissé, les oreillers étaient... elle a étiré son cou... " Où sont-ils les oreillers ? "
Et lui non plus n’était plus là. Elle a souri. Il devait penser à autre chose pour oublier de fermer la fenêtre. Elle était seule avec son envie de faire pipi.... elle s’est adossée à la tête de lit... a serré ses jambes contre son ventre... baillé sans couvrir sa bouche de ses doigts... le soleil l'a transpercée d'un rai pailleté... l’air en courant s'est jeté sur elle... Et soudain elle a pensé à Jésus sur la croix, si lui aussi avait envie de faire pipi, s’il avait froid, si... ?
Alors elle a abandonné sa tête... les épaules chevillées au bois dur... les bras grands ouverts... les poignets étroitement sanglés en mimant la moue d’un supplicié, si terriblement affligée... et elle a ri, en un éclat tranchant... " Heureusement il ne m’a pas clouée ! " 

Jane Véronique

mercredi 18 mai 2016

8.

Elle donnait l'impression de toujours marcher sur un fil. Tant de grâce, une telle légèreté... comme dans une chanson de Maxime Leforestier, elle semblait marcher comme on danse. Et tous les garçons du village la regardaient. Mais elle passait, altière, innocente, inconsciente de l'effet provoqué par son passage. Même Karim, dont la superbe moto avait séduit bien des filles, en restait tout intimidé.
Quand elle quitta le village, tout le monde en fut attristé. Il nous manquait de ne plus la voir traverser la place. Je me plaisais à l'imaginer, faisant partie d'un corps de ballet, danseuse étoile, peut-être...
J'eus la chance de la revoir, quelques années plus tard. Elle avait gardé toute sa grâce. Cette grâce avec laquelle, sanglée dans son uniforme de fliquette, elle réglait la circulation au carrefour.

Marc Menu

dimanche 15 mai 2016

7.

Il monte au sommet de la tour par l’escalier de secours. Au cas où il ait besoin de secours. En plusieurs fois pour reprendre son souffle à chaque fois. Il porte des ailes dans le dos, deux voiles presque demi-lune, brodées d’étoiles et de planètes. Son casque à ailettes lui couvre les oreilles se dénoue... Il se gribouille quelque chose sur la poitrine de son pouce contre ses doigts peut-être un signe qui devrait être de croix... Si longtemps à marcher de mât en mât d’un chapiteau étoilé... pas à pas... l’éternité... 47 étages qu’est-ce que c’est quand on n’a pas peur de tomber ?... Il saisit dans ses poches deux poignés de confettis qu’il jette ensemble dans l’air, l’air de rien, lance son pied dans le vide, avide... un fil le retient, lui fend le chausson... le second... il avance, court, agite ses ailes et s’envole... 
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de sa fille chérie, Mademoiselle Hortensia. Elle qui aimait tant pleurer, elle est morte de joie.

Jane Véronique

samedi 14 mai 2016

6.

Ils s'embrassaient dos à dos. C'était l'apothéose de leur numéro de trapézistes - Les Butterflies - et les gens venaient de très loin pour les voir. Depuis qu'ils avaient rejoint son petit cirque, le directeur affichait son plus large sourire. Le chapiteau ne désemplissait plus. Contrairement à ce qui était suggéré pendant leurs voltiges, ils n'étaient pourtant pas un vrai couple dans la vie. Elle, Mademoiselle Hortensia, coulait des jours paisibles sur l'épaule du clown triste. Il la faisait pleurer, ce qui la comblait d'aise. Quant à lui, Monsieur Moustache, il s'initiait à la soumission sous le fouet de Lady Kiss, la dompteuse de fauves. Elle essayait sur lui la plupart des tours de ses chers félins. Et même, certains soirs de turpitude, elle l'offrait en esclave à son amante, la lanceuse de couteaux. L'accident était inévitable.

Marc Menu

vendredi 13 mai 2016

5.

Philibert Papillon ? Je l’ai bien connu. Nous rentrions à reculons ensemble de l’école. Il partageait avec moi ses beurres de tartine du goûter. Il n’avait pas beaucoup de copains, mais moi je l’aimais bien. Il s’habillait devant derrière et parlait d’une drôle de façon. Nous jouions à cache-cache le mercredi. À cache-cache, en vrai, il inversait les mots, mais je le comprenais, c’était mon ami. On se trouvait toute l’après-midi, je me montrais derrière le gros chêne, il ne me cherchait jamais... Il s’en fichait parce que l’important est de gagner. Il m’invitait souvent à arpenter sa maison en marche arrière un miroir dans les bras pour flâner au plafond... on enjambait les lustres, on surveillait ses parents par terre sans qu’ils ne s’en rendent compte. Puis on a grandi. On allait boire du Cola Coca dans de grandes pailles avec des verres coudés qu’on faisait tourner pour pleurer. Il me récitait des poèmes en commençant par la fin. Et un jour, dos à dos, on s’est embrassés...
Je ne l’ai jamais revu. Il paraît qu’il a trouvé un petit boulot dans l’industrie laitière.

Jane Véronique

jeudi 12 mai 2016

4.

Il ne l'avait pas inventé, le fil à couper le beurre. Oh non. On le lui avait suffisamment fait remarquer pendant sa courte, mais oh combien pathétique, scolarité. Certains avaient même sous-entendu que non content de ne pas en avoir eu l'idée, il serait même complètement infoutu de s'en servir correctement, de ce sacré fil. Il en avait gardé une rancœur sous-jacente, le besoin sourd d'une revanche éclatante. Il trouva un petit boulot dans l'industrie laitière. Il y profita de ce qu'on ne faisait pas trop attention à lui - la médiocrité rendant invisible - pour bricoler dans son coin. C'est ainsi qu'avec quelques lames de rasoir finement disposées dans la motte, il mit au point le beurre à couper le fil. Cela fit de nombreuses victimes dans la région.

Marc Menu

mercredi 11 mai 2016

3.

Sentir les choses n’est pas une mince affaire... Pourtant elle, sentait toutes les choses, à un point tel, qu’il lui était impossible de se soustraire ne serait-ce qu’un tout petit instant à... toutes les choses. La frustration, une odeur de chaussette, les indélicats, même une fine couche de boue lui suggéraient une gravité considérable... elle s’en retrouvait bouleversée. Non, sentir les choses n’était pas une mince affaire. Elle se fit retirer le nez, comme d’autres se font retirer les poches sous les yeux ou un excédent de graisse sous le menton, même si cela ne protège d’aucunes sensations excessives. On le saurait. Elle se fit retirer le nez, tout bonnement, d’un coup de fil à couper le beurre.

Jane Véronique

mardi 10 mai 2016

2.

À côté de mes pompes, il y a quelqu'un qui me ressemble pas mal. Elles s'y laissent prendre, régulièrement, et partent à ses pieds. Ma frustration, ces matins-là, est grande. D'autant que quand elles reviennent, des heures plus tard, recouvertes d'une fine couche de boue qu'il me faudra gratter, c'est tout imprégnées de l'odeur de ses chaussettes - qu'il ne doit pas laver très souvent. J'aimerais bien le prendre sur le fait, cet indélicat... mais toujours il m'échappe, se levant aux aurores, s’éclipsant à mon approche, chaussé de mes propres souliers. Et toutes mes tentatives pour le rattraper restent coincées dans mes pantoufles.

Marc Menu

lundi 9 mai 2016

1.

Il était toujours à côté…
Il est resté un moment à côté du radiateur. Puis à côté de ses pompes dont il eut beaucoup de mal à se défaire. Puis à côté de rien. Il s’ennuyait. 

Et tout le monde finit par dire « Il est complètement à côté de lui… il n’y a plus grand chose à faire… ».
Pourtant il était bien à côté de lui, oui, bien, malgré les dires.
Jusqu’à ce soir de concert…
Il était à côté de lui comme d’habitude. Quand soudain, quelqu’un, debout, s’est penché sur lui, assis, et avec une extrême politesse a demandé s’il y avait quelqu’un à côté de lui.
Jamais il n’avait rencontré un être aussi impertinent. Jamais.
Il lui répondit qu’il n’y avait personne à côté de lui, absolument personne, juste pour l’embêter.

Jane Véronique