lundi 22 août 2016

32.

Dès les premiers signes de fonte des neiges, le ruisseau se mit à enfler. Il enfla si bien, même, en dévalant la montagne, qu'arrivé en bas, il ne sut plus quoi faire de toutes ses eaux. Ils les perdit donc, dans un fracas de début du monde. Et, avec les eaux, l'enfant. Par miracle, il ne se noya pas, mais ce fut moins une... Il fut recueilli par une lavandière qui le nourrit au sein jusqu'à ses dix-sept ans. Il devait en garder, toute sa vie, un léger zézaiement. Ce qui ne l'empêcha nullement de la réussir - sa vie - et ce, au delà de toute espérance : il serait le premier homme-torrent à devenir animateur de radio - sous le nom d'André. Pendant des années, les transistors en seraient tout éclaboussés. 

Marc Menu

dimanche 21 août 2016

31.

La raison en était le froid…
Son cri d’effroi se réfugia dans le congélateur, à la vue d’un bouquet de lièvres ficelés par les oreilles, allongés là claquant des dents.
Mais jusqu’où s’étaleraient les extravagances de son époux ?
Elle en eut la voix instantanément gelée... une lame de glace au bord d’un toit. 

Mais au dégel, elle s’en retrouva si particulièrement éloquente, d’une pertinence si aiguisée, loquace et expressive et diserte et prolixe et éloqu… qu’elle réitéra le phénomène. 
Chaque soir, elle hurlait sa voix dans un sachet de congélation, qu’elle déposait entre les haricots surgelés et les bâtonnets de poisson, pour la décongeler le matin, dans un gargarisme au thé lourdement miellé.
Tout le monde en était enchanté de ses talents oratoires hors normes.
Tout le monde sauf son époux, tant et tant épris, qui s'inquiétait de son mutisme quand il lui faisait l’amour la nuit.

Jane Véronique

vendredi 19 août 2016

30.

Le roi est mort. La reine pleure. Point trop. Juste ce qu'il faut. En regardant du coin de l’œil le capitaine des dragons qui fait depuis des années le délice de ses nuits. Qui reste impassible. Bien obligé. A monter la garde devant le cercueil ouvert. Et la reine, en regagnant ses appartements, prend plaisir à le frôler au passage - sous couvert de recueillement devant la sépulture conjugale. Mais le capitaine des dragons n'y tient plus. Sous les yeux éteints du monarque cocufié, et à la stupéfaction générale et endeuillée, il la retient par le bras, cette reine de tous ses tourments. Et là, appuyé contre le royal catafalque, il lui roule ce qu'il est convenu d'appeler une pelle d'enfer. Une pelle de cinéma. Une pelle telle qu'on s'attendrait à entendre une voix qui crierait coupez. Mais personne ne coupe. Dans le silence de mort qui s'ensuit, la voix glacée de la reine mère :
- Venez, ma bru. Ça vous fait bien assez d'émotions comme ça... Gardez-en pour demain.

Marc Menu

mardi 16 août 2016

29.

Il était un roi qui se disait fou du roi... Un roi éparpillé dans les méandres de son château pour de faux. Mais il était un roi. Pour de vrai. Un peu fou pas si fou tellement fou. Un roi en morceaux de morceaux de rois assis ce jour-là, sur le rebord de la fenêtre… 
Il était elle, pas reine, juste elle, à s'éterniser à l’orée de ses méandres, de gros méandres à petits pois et fleurs de courgettes au fond de sa cuisine à attendre quatre heures, cinq et même six, et s’endormir dans ses bras sur la machine à machiner. 
Elle prenait l'air, ce jour d'électricité dans l'air, de coupures toutes petites et de fenêtre ouverte... 

Je crois que c'est à ces points suspendus que l'histoire a commencé.  


Jane Véronique 

jeudi 4 août 2016

28.

Elle disait qu'on l'avait jetée, enfant, avec l'eau du bain. Qu'elle avait dérivé, longtemps, à fleur de canal. Jusqu'à cette écluse. Où elle ne dut son salut qu'à la veuve de l'éclusier. Qui allait abuser d'elle pendant les trente-deux années qui s'en suivraient. Mais là n'était pas la question. Elle disait que celui qui l'avait jetée à l'eau était de haute lignée. Qu'elle était, à n'en pas douter, fille de roi. Qu'un jour, elle retrouverait son royaume. Si possible, au bras d'un prince charmant. Même qu'il fallait qu'il se dépêche, le prince charmant. À quatre-vingt-quatre ans, elle n'avait plus tellement de temps devant elle pour l'accomplir, sa destinée. 

Marc Menu

mardi 2 août 2016

27.

Je nageais. 
Quand par le plus hasardeux des phénomènes qu’il m’ait été donné de vivre, je fus pêchée par un filet en haute mer... je n’y connais rien en pêche, étais-je pêchable ?... Aucune idée... et que nageais-je là ? J’ai toujours été horrifiée par les mers trop hautes, on ne voit plus l’horizon. Une fois remontée à bord du chalutier, dont j’appris le nom par une sardine empêtrée : Que les bateaux à sardines sont des chalutiers, mais que les boites de sardines, elles, restent des boites, ne dit-on pas une boite de sardines ? J’avais pourtant espéré une fantaisie nominative... mais je m’égare. Joueuse, je m’étais fait un banc de copines... elles sont agitées toutes ces sardines dans le même sens comme un banc de poissons !... Suis-je plus bête que sotte ? Elles en étaient !... Mais rions. Et une fois déversé le contenu... nous fûmes triées... trop vives, trop fines, trop bleues... et mes petites sardines qui passaient par dessus bord au bon vouloir de ces critères si dérisoires... Et puis saisie, enfin mon tour de retourner à ma baignade, de me plonger dans l’eau du bain... Quand... 
- Une crevette ! S’écria la main...
Moi une crevette ? Me demandais-je, courant allègrement de surprise en surprise... j’ai toujours eu horreur de m’ennuyer mais à ce point de non-ennui, c’est l’aventure ! 

- Une belle crevette, et rose vif pigmenté de grenat !... Serait-elle cuite ?... Riait la main...
J’étais bien cuite de coup de soleil en coup de soleil, j’étais beaucoup plus rouge que grise... C’était le premier jour de mes vacances, mais de là à me faire passer pour une crevette...

Jane Véronique