mardi 27 décembre 2016

42.

La jeune fille a peint ses ongles en bleu ciel - du moins, quand le ciel est bleu. Parce que quand il fait gris, forcément, ses ongles restent bleus quand même, mais alors, bleu schtroumpf. Sauf bien sûr quand le schtroumpf en question se fait mordre le croupion, car alors il devient noir. Et du coup, ses ongles à elle changent de dénomination, pour devenir bleu chardon. Oui mais... il arrive que les chardons soient mauves, voire carrément roses.
C'en est trop. Elle a remis du rouge. Et, en éclatant d'un rire qui en dit long sur son délabrement mental :
- C'est toujours ça que les schtroumpfs n'auront pas.

Marc Menu

mercredi 30 novembre 2016

41.

Un scintillant sourire... Sidonie Toise n’en avait pas la recette. Elle était affublée d’un sourire incongru qui n’offrait pas la moindre effervescence d’une sensation aiguisée par la joie… l’enthousiasme… la folie… le plaisir... Quand Sidonie tentait une esquisse de… de quoi ?... un rictus lui agrippait la face comme une crampe. Ses yeux s’en retrouvaient fripés, ses lèvres retroussées sur des incisives domptées à l’attaque et ses narines dilatées en prise directe à tous les courants d’air… et tout ça très rouge, excessivement rouge.
« Pas anodin comme douleur... » Chuchotait-on à son encontre.
Elle allait hurler, au moins gémir et finir par se transformer en quelque chose pour sauter à toutes les gorges des environs.
Un mal sournois s’était attablé à l’intérieur de Sidonie Toise et la dégustait avec lenteur …
« Ça ne va pas ? » Lui demandais-je.
« T’es une marrante toi ! » S’enthousiasmait-elle.
Elle arborait un masque de camouflage déployant sarcastiquement son art de l’ironie, experte en second voire dernier degré, elle n’avait pas mal, absolument pas, elle simulait… mais que simulait-elle ?…
Je traquais l’indice quelque part entre des paroles et un faciès désespérément antagoniques…
Qui devais-je croire ?…
À quoi pouvais-je me fier ?…
Quand une espèce de ronflement en provenance de ses cavités sinusiennes me mit sur la voie…
Elle riait carrément l’irrespectueuse, Sidonie Toise se fichait de ma gueule à poumons dilatés !

Jane Véronique

mercredi 23 novembre 2016

40.

L'art contemporain, il en avait fait le tour, décréta-t-il, péremptoire. Guggenheim, ça va une fois, j'ai fait celui de Venise, je ne vais pas me les envoyer tous non plus... C'est déjà assez pénible comme ça. Ça ajoute quoi à la beauté du monde, l'art contemporain, hein ? Vous pouvez me le dire ?
La jeune femme à la table voisine le regardait avec sympathie - il serait plus juste de dire avec empathie. Encouragé, il reprit sa diatribe, la prenant à témoin. Et Picasso, qu'est-ce qu'il avait apporté à l'histoire de l'art, hein, Picasso ? Rien ! Nada ! Des nèfles ! Il n'avait aucun intérêt, Picasso ! À part peut-être de peindre les femmes avec la bouche à la place de l'oreille. Ce qui prouvait qu'il les connaissait bien, conclut-il avec un clin d’œil qui se voulait subtil, fort satisfait de son trait d'esprit - par ailleurs effrontément emprunté à Cocteau.
La demoiselle, encore une fois, approuva d'un scintillant sourire. Il est vrai qu'elle ne comprenait pas un traître mot de français.

Marc Menu

vendredi 18 novembre 2016

39.

L’artiste Paul Pigne, basque par quelques hommes qui seraient passés par sa mère dans une chambre froide de boucherie, avait aligné sur le sol de la rampe colimaçon du Guggenheim de Bilbao, du jambon persillé en gelée et des pieds de porc panés par ses soins, à la main gauche. Alors que droitier, il s’était imposé une sinistralité à des fins artistiques… « Mon œuvr’ ser’a empr’unté dé maladr’ess’é » et un accent coincé entre Dalì et une goulotte à poinçonner station Picasso ( ben oui !) un jour d’affluence. L’installation laissait planer dans le quartier un parfum de Spigol, succédané d’épices à paella, dont il avait truffé son œuvre charcutière pour lui conférer ce caractère typiquement valencien (et attirer le public sans flyers). Outre le fait qu’à Bilbao, on bouffe plutôt des txipirones en su tinta… ¡ Mais quel còn ! Depuis qu’il vivait en Espagne, l’ancien traiteur de Bayonne, devenu happener par l’entremise d’une idée dite « du reste de rillettes une nuit de solitude la tête dans le pot » s’était forgé une réputation internationale. Il était aujourd’hui « El grande Pignolo con la mano » ou « Pablo el unico segundo » (sous sa forme raccourcie), face au monde artistique qui hurlait son nom d’adoration la bouche pleine de gratons un jour de pique-nique en plein soleil. Ses happenings se terminaient systématiquement par un lâcher de chorizetitos picantes muchas màs, plantés de petites fourchettes à deux dents, sur fond de « Banane » de Philippe Katerine (un pote à lui)… fil rouge incontestable qui le tracta aux confins de sa gloire… et il va sans dire que la rudesse de sa conception fit de lui ce qu’il est aujourd’hui.
¡ Sinon nadà !

Jane véronique

lundi 14 novembre 2016

38.

À table, sonna la gigantesque horloge comtoise qui démesurait le petit salon. Il passa donc à table, nourrissant les plus grandes espérances quant à la suite des festivités. Il déchanta assez vite. En guise de hors d’œuvre, on servit du jambon persillé. Il en avait une sainte horreur, l'espèce de gelée qui servait de liant ne lui inspirant que des hauts le cœur - voire plus si affinités. Il tenta de faire bonne figure, se laissa morigéner par la maîtresse de maison - mais si, reprenez-en un peu, vous me ferez plaisir ! -, flirta avec l'incident vomito-diplomatique... En fin de compte, il prit sur lui, déglutit une bonne fois, et noya le tout sous une généreuse rasade de Gevrey-Chambertin. L'estomac encore tout à l'envers, il vit venir les pieds de porc avec une angoisse irrépressible. La sueur abondante qui perlait à son front, en alertant sa voisine de table, lui valut le salut. Il ne lui restait plus qu'à feindre l'infarctus. Il en serait quitte, comme à chaque fois, pour payer l'apéro aux ambulanciers.

Marc Menu

lundi 10 octobre 2016

37.

La moche m’a planté l’automne au coeur du printemps. Un automne de rouille, qui grince, qui se casse la gueule dans un hiver imminent. Mes bêtises sont à moi. J’en rêve.
Ça me fiche le trac. 
La moche m’envisage en pièces détachées. Elle me connaît par cœur et me passe à côté. La moche est l’horlogère. Elle trafique les tic-tacs, bricole mécaniques.
Ça me fiche le trac.
Des heures de panique. Ça court à l’intérieur. Métronome atypique dans ma cage, affolé. J’écoute ma vie. Résonne dans l’oreiller, les pensées dans ma tête, ça m’entête, ça m’embête.
Ça me fiche le trac. 
Et ça claque, si ça claque ? Raisonne dans l’oreiller, la tête dans mes pensées, je me perds, je suis fou. J’ai pas peur, je m’en fous. Juste le trac. Et la moche, l’horlogère et sa clef à coucou remonte le fou. 
Et je bats.

Jane véronique

jeudi 29 septembre 2016

36.

La femme du boucher est une fausse blonde. C'est la boulangère qui l'a dit à maman. Même qu'elle se teint pour cacher ses vilains cheveux roux. Parce que les rousses, c'est vicieux. Et ça sent mauvais. Ça, c'est maman qui l'a dit. Ça m'embête un peu, d'ailleurs, parce que ma petite amie l'est. Rousse. Et que j'aime bien ses cheveux. Ils me renvoient des reflets d'automne au cœur même du printemps. Et qu'on fera l'amour, bientôt. Quand je serai plus grand. Elle m'a promis. Qu'elle sera toute douce. Qu'elle m'apprendra. Avec toute l'expérience et le savoir-faire de ses quarante-six ans. 

Marc Menu